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- Pourquoi Mastodon se moque de la « masse critique »
- par Peter O’Shaughnessy, d’après son billet publié le 10/11/2018 sur son blog : Why mastodon is defying the critical mass
- C’est une erreur de juger la Fediverse comme s’il s’agissait d’une startup de la Silicon Valley.
- 1. La Fediverse n’est pas une startup
- 2. C’est aussi une question de qualité (d’expérience), pas seulement de quantité (d’utilisateurs et utilisatrices)
- 3. C’est un écosystème ouvert
Mastodon a déjà deux ans, et il est toujours vivant, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure. Il est inadéquat de le comparer aux plateformes sociales, et Peter 0’Shaughnessy nous explique bien pourquoi…
Pourquoi Mastodon se moque de la « masse critique »
par Peter O’Shaughnessy, d’après son billet publié le 10/11/2018 sur son blog : Why mastodon is defying the critical mass
C’est une erreur de juger la Fediverse comme s’il s’agissait d’une startup de la Silicon Valley.
Mastodon a maintenant plus de deux ans et (pour emprunter une expression à Terry Pratchett), il n’est toujours pas mort. D’une manière ou d’une autre, il a réussi à défier les premiers critiques qui disaient qu’il « ne survivrait pas » et qu’il était « mort dans l’œuf ». Même certains de ceux qui postaient sur Mastodon à ses débuts doutaient de sa longévité :
Pari : le lien vers ce tweet ne fonctionnera plus dans deux ans – @[email protected]
Plus récemment, un article sur l’écosystème plus vaste qui comprend Mastodon, appelé La Fediverse, a fait la une de Hacker News : Qu’est-ce que ActivityPub, et comment changera-t-il l’Internet ? par Jeremy Dormitzer. C’est un bon argument en faveur de l’importance de la norme ActivityPub, sur laquelle reposent Mastodon et d’autres plateformes sociales. Cependant, il commet toujours la même erreur que ces premiers prophètes de malheur :
Le plus gros problème à l’heure actuelle, c’est l’adoption par les utilisateurs. Le réseau ActivityPub n’est viable que si les gens l’utilisent, et pour concurrencer de manière significative Facebook et Twitter, nous avons besoin de beaucoup de gens pour l’utiliser. Pour rivaliser avec les grands, nous avons besoin de beaucoup d’argent…
Des arguments similaires ont été présentés dans de nombreux articles au cours des derniers mois. Ils impliquent :
- que la valeur du réseau n’est proportionnelle qu’au nombre d’utilisateurs ;
- que ce ne sera vraiment un succès que s’il devient un remplacement massif pour Twitter et Facebook ;
- que si vous ne le rejoignez pas, il ne survivra pas.
Mais tout cela est faux. Voici pourquoi…
1. La Fediverse n’est pas une startup
Nous sommes tellement conditionnés de nos jours par le monde du capital-risque et des startups que nous pensons intuitivement que toutes les nouvelles entreprises technologiques doivent réussir ou faire faillite. Mais ce n’est pas la nature du modèle économique qui se cache derrière le Fediverse, qui est déjà durable, tout en continuant de fonctionner comme si de rien n’était.
Nous devons cesser de juger la Fediverse comme s’il s’agissait d’une startup de la Silicon Valley en concurrence avec Twitter et Facebook.
Jeremy a raison de dire que la plupart des instances sont « créées et administrées par des bénévoles avec des budgets minuscules », mais il implique que cela doit changer, alors que la plupart des administrateurs et utilisateurs de Mastodon que je connais sont très satisfaits de ce modèle, qui nous libère des intérêts acquis et contradictoires des régies publicitaires.
C’est facile à dire pour moi, car je n’héberge pas ma propre instance et mon administrateur a gentiment refusé les offres de dons jusqu’ici. Cependant, dans la plupart des cas, il semble que tout se passe très bien, la plupart du temps grâce au financement participatif. Même si certaines instances ont été fermées à un moment donné (et c’est malheureusement le cas), il y en a d’autres qui se présentent à leur place. Malgré les fortes fluctuations à chaque nouvelle vague d’utilisateurs venant de Twitter, la trajectoire globale est à la hausse, et c’est ce qui importe — pas la vitesse de la croissance, ni l’atteinte d’un certain niveau de masse critique. Michael Mahemoff l’a bien dit :
« Mastodon est déjà « assez bon » dans sa forme initiale pour satisfaire plusieurs besoins de niche (les personnes qui veulent plus ou moins de modération ou des critères différents de modération, celles qui ne veulent pas de publicités, celles qui veulent des participant⋅e⋅s qui sont libres d’innover, celles qui veulent posséder et/ou héberger leur propre contenu, etc.). Comme Mastodon a un modèle de mécénat durable, il peut se développer au fil du temps et être capable de continuer à innover. »
En fait, si Mastodon se développait trop rapidement, cela pourrait avoir des conséquences plus négatives que positives. La croissance progressive permet aux instances existantes de mieux faire face à la charge et permet à de nouvelles instances d’émerger et de faire face à une partie du flux.
2. C’est aussi une question de qualité (d’expérience), pas seulement de quantité (d’utilisateurs et utilisatrices)
Lorsque j’ai rejoint Mastodon pour la première fois, j’ai été enthousiasmé par chaque nouvelle vague d’utilisateurs et utilisatrices venant de Twitter. Je voulais prêcher à ce sujet à autant de gens que possible et essayer d’amener autant d’amis que possible à « déménager ». Au bout d’un moment, j’ai pris conscience que je me concentrais trop sur la comparaison avec Twitter et que j’essayais d’en faire un remplaçant de Twitter. En fait, j’avais déjà un réseau précieux là-bas et suffisamment de raisons de le visiter régulièrement, même si j’ai continué à utiliser Twitter aussi.
Mastodon s’articule autour des communautés. Ces communautés peuvent être des réseaux spécialisés selon les sujets qui vous intéressent. Vous n’avez pas besoin de tous vos amis pour être au sein de ces communautés, pour trouver des gens intéressants, du contenu utile et des interactions intéressantes.
Comme Vee Satayamas l’a noté, si vous êtes un utilisateur de Twitter, vous le trouverez peut-être utile même si peu de membres de votre famille ou d’amis réels sont présents. Vous n’avez pas besoin que tout le monde soit disponible sur chaque réseau. J’ai récemment quitté Facebook et j’ai quand même pu entrer en contact avec mes amis, par courriel ou par texto. Ce serait bien mieux si davantage de mes amis étaient sur Mastodon, mais ce n’est pas un gros problème.
En réalité, il y a quelque chose de positif dans la petite taille de mon réseau sur Mastodon. Je peux suivre ma chronologie, mon « fil », sans me sentir dépassé. C’est moins stressant d’y poster, comparé à Twitter, où chaque message que vous envoyez risque d’être republié par une horde géante ! Je suppose que c’est comparable à l’effet ressenti par les YouTubers, tel que détaillé dans cet intéressant article du Guardian, qui cite Matt Lees :
« Le cerveau humain n’est pas vraiment conçu pour interagir avec des centaines de personnes chaque jour… Lorsque des milliers de personnes vous envoient des commentaires directs sur votre travail, vous avez vraiment l’impression que quelque chose vous vient à l’esprit. Nous ne sommes pas faits pour gérer l’empathie et la sympathie à cette échelle. »
Pour moi, Mastodon offre un moyen terme heureux entre les conversations intimes des groupes WhatsApp, par exemple, et le potentiel sans limites de Twitter pour découvrir de nouvelles personnes et de nouveaux contenus.
D’après mon expérience, la plupart des utilisateurs actifs de Mastodon ne veulent pas qu’il ressemble davantage à Twitter — et ne ressentent pas le besoin que tous ceux qui sont sur Twitter les rejoignent. Par exemple, ces personnes apprécient le fait qu’il n’y a pas de publicitaires et très peu de marques. Pour les gens qui ne s’inquiètent que de leur « influence », alors c’est sûr, Mastodon n’aura pas autant de valeur. Mais la plupart de celles et ceux qui sont sur Mastodon ne regretteront pas trop de ce genre de personnes venues de Twitter !
Nous devons cesser de considérer Mastodon comme un substitut potentiel de Twitter. C’est différent, et c’est délibéré. Je comprends qu’on se plaise à imaginer que la Fediverse pourrait un jour écraser Twitter et Facebook, mais je ne pense pas que ce soit réaliste (du moins pas dans un avenir proche). Je pense que ce sera toujours l’outsider et c’est très bien ainsi, d’une certaine façon.
3. C’est un écosystème ouvert
La Fediverse ne gagne pas seulement de la valeur à partir de la quantité d’utilisateurs, elle en gagne aussi à partir de la quantité de services. S’appuyer sur le standard ActivityPub implique que nous pouvons utiliser Mastodon, PeerTube (un service semblable à YouTube), PixelFed (un service semblable à Instagram) et beaucoup d’autres, qui peuvent tous interopérer. Cela donne à la Fediverse un avantage d’échelle par rapport aux plateformes propriétaires closes. C’est un point que l’article de Jeremy a bien fait ressortir :
« Parce qu’il parle le même « langage », un utilisateur de Mastodon peut suivre un utilisateur de PeerTube. Si l’utilisateur de PeerTube envoie une nouvelle vidéo, elle apparaîtra dans le flux de l’utilisateur Mastodon. L’utilisatrice de Mastodon peut commenter la vidéo PeerTube directement depuis Mastodon. Pensez-y une seconde. Toute application qui implémente ActivityPub fait partie d’un réseau social étendu, qui conserve le choix de l’utilisateur et pulvérise les jardins propriétaires clos. Imaginez que vous puissiez vous connecter à Facebook et voir les messages de vos amis sur Instagram et Twitter, sans avoir besoin de compte Instagram ni de compte Twitter. »
Cela signifie également que si nous avons l’impression que le service que nous utilisons ne va pas dans la direction qui nous convient (coucou, utilisateurs de Twitter ?), alors nous pouvons passer à une autre instance et conserver l’accès à l’écosystème global.
La Fediverse s’accroît et c’est une bonne chose. Mais elle n’a pas besoin de davantage d’utilisatrices. Transmettre l’idée qu’on pourrait échouer sans une migration massive à partir d’autres plateformes sociales est une perspective trompeuse. Et défendre cette idée donnerait aux gens la fausse impression, lorsqu’ils rejoindront ce réseau social, qu’on devrait rechercher la quantité d’utilisateurs et utilisatrices, plutôt que la qualité de l’expérience.
Alors ne comptons pas trop le nombre d’inscrit⋅e⋅s sur Mastodon. Allons doucement en le comparant à Twitter. Arrêtons de le traiter comme s’il s’agissait d’une situation à la Highlander où « il n’y a de la place que pour un seul ». Et commençons à profiter de la Fediverse pour ce qu’elle est — quelque chose de différent.
Merci à Jeremy Dormit d’avoir été très gentil avec moi en critiquant cette partie de son billet de blog (qui m’a beaucoup plu par ailleurs) – voici sa réponse à mon pouet qui a mené à ce billet. Merci aussi à mes anciens collègues de Samsung Internet qui ont jeté un coup d’œil à une version antérieure de ce post.
Article proposé par framablog sous licence Creative Commons By-Sa
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