Vous avez fait de moi un pirate

 

Vous avez fait de moi un pirate

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Le premier tour des élection législatives françaises vient de s’achever avec des résultats encourageants pour un Parti Pirate qui faisait ici ses réels premiers pas en politique et qui aura eu le mérite de se faire connaitre et susciter l’adhésion et l’enthousiasme d’un certains nombre d’entre nous[1].

Et avec des témoignages comme celui ci dessous la dynamique n’est pas prête de s’arrêter…

Sommes-nous tous devenus (ou en passe de devenir) des Georges Nevers ?

Remarque : Voir aussi le billet Pourquoi je suis un pirate ! de notre ami Ploum.

Kevin Dooley - CC by

Vous avez fait de moi un pirate

Georges Nevers – juin 2012 – Licence Creative Commons Zero

Lobbyistes des droits d’auteurs, majors, sociétés de gestion, félicitations :
consommateur consciencieux, en quatre ans, vous avez réussi à faire de moi un
vulgaire pirate.

À l’école de la contrefaçon

Il y a quatre ans donc, je finissais tout juste mes études. Mon passage par
l’université n’avait pas entamé mes convictions concernant le droit d’auteur :
je mettais alors un point d’honneur à respecter scrupuleusement ce droit, et je
considérais alors la contrefaçon numérique comme un moyen irresponsable de
satisfaire ses envies de produits culturels.

Comprenez bien qu’une telle attitude est assez rare chez un étudiant. En effet,
ce milieu est très performant lorsqu’il s’agit de partager des contrefaçons,
certaines universités disposant même de systèmes officieux de partage de masse
interne. Bref, la plupart des étudiants profitent tout naturellement des
possibilités offertes par la technologie, et confirment l’habitude de partager
des contrefaçon qu’ils ont souvent acquise dès la lycée.

Loin d’affaiblir mes convictions inhabituelles, mon passage à l’université les
avait même plutôt affermies par quelques cours qui m’avaient permis de mieux
comprendre le système de droit d’auteur, et par ma plongée dans le logiciel
libre, qui me permis d’approfondir ses implications. Les licences qui fondent
le logiciel libre sont en effet basées sur le droit d’auteur, et l’effort de
diffusion de ces logiciels est également opposé à la contrefaçon de logiciels
propriétaires qui contribue à leur maintien.

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Un consommateur idéal… ou presque

À la fin de mes études, j’étais donc un consommateur comme vous devez en rêver,
achetant régulièrement de la musique du prix fort dans une boutique en ligne
tout à fait légale. Seule ombre au tableau, je n’appréciais pas particulièrement
les pratiques des majors du disque dans le domaine des verrous numériques, et la
loi DADVSI m’avait laissé un goût un peu amer. Pour autant, je considérais alors
ces sociétés comme un mal nécessaire.

J’étais en effet largement opposé aux verrous numériques. Ces mesures anti-copie
me gênaient dans mon utilisation d’exemplaires licites, alors qu’elles ne
s’appliquaient pas aux copies contrefaites disponibles gratuitement. Ces verrous
me donnaient en quelque sorte l’impression d’être puni pour mon honnêteté ; pour
éviter cela je refusais tout simplement d’acheter des œuvres ainsi protégées.

Une saga de lois et de mesures

Là-dessus, j’avais donc vu passer la loi DADVSI qui sacralisait ces mesures. Je
remarquai notamment que, par ma contribution à la redevance pour la copie
privée, je finançais des exploitants qui, par des mesures techniques protégées
par cette loi, interdisaient de facto la mise en œuvre de ce droit de copie
privée. Je vis la jurisprudence évoluer à ce sujet, un juge décidant que la
copie privée n’était plus un droit mais une exception non garantie au droit
d’auteur.

Puis ce fut le périple de la loi Création et Internet, qui introduisait, sans
doute pour la première fois dans le droit français, une présomption de
culpabilité et un renversement de la charge de la preuve. Je ne détaillerai pas
l’accouchement au forceps de cette loi, qui fut âprement défendue dans sa
version originale par des gens anéfé incompétents, malgré son caractère non
seulement anticonstitutionnel, mais surtout contraire à la déclaration des droit
de l’homme. Opposé à cette loi pour ces raisons, je fus également peiné d’être
en tant que tel assimilé par ses promoteurs à un vil pirate. Je crois que ce fut
le déclic qui commença à modifier ma conception : moi, consommateur modèle,
respectueux du droit d’auteur comme peu de gens, cohérent par mes actes avec
cette conviction, on me considérait comme un pirate ! Pire encore, on
m’attaquait par cette loi et diverses actions passées sur lesquelles j’avais
fermé les yeux avec complaisance !

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Une fois la loi Création et Internet laborieusement mise en place, j’étais donc
prêt à considérer les événements suivants sous un nouveau jour. Je vis par
exemple la SACEM attaquer une école pour avoir osé fait chanter à ses enfants
une chanson d’Hugues Aufray lors d’une fête sans profit, et ce chanteur,
scandalisé par cette action en justice, s’acquitter lui-même des droits
d’exploitation de sa propre chanson. Je vis l’auteur du logiciel Freezer, un
outil permettant la mise en œuvre du droit à la copie privée sur la plate-forme
Deezer, se faire condamner à 6 mois de prison. Tout dernièrement, j’ai assisté
avec consternation à l’élaboration du traité ACTA, élaboré entre des
gouvernements et des sociétés privées hors de tout contrôle démocratique, dans
un secret que je pensais réservé aux décisions militaires ; l’idée d’accords
secrets entre des gouvernements et des entreprises privées ne m’évoque
d’ailleurs qu’un seul mot : la corruption, ici au plus haut niveau de décision
mondiale.

La fin d’un monde…

Les exemples sont multiples et je ne saurais en donner une liste exhaustive.
Tous ces événements ont progressivement changé le jugement que je portais aux
majors et aux sociétés de gestion, passant de la bienveillance à la déception,
puis au dégoût, et finalement au rejet pur et simple. Après la création de
l’HADOPI, la boutique en ligne où j’achetais ma musique a décidé de postuler au
label « PUR », ce qui m’a convaincu de cesser de me fournir chez eux. Après leur
avoir fait part de cette décision et de sa motivation, j’ai eu la surprise de
recevoir une réponse de leur part, indiquant qu’ils comprenaient tout à fait ma
décision, et qu’ils s’attendaient effectivement à ce genre de rejet.

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L’affaire Freezer a achevé de me convaincre de l’iniquité des sociétés de
gestion et des majors, de sorte que je considère aujourd’hui ces entreprises
comme des organisations nuisibles. En particulier, l’achat de musique me semble
maintenant immoral, dans la mesure où il finance ces organisations qui devraient
disparaître. En comparaison, le partage de contrefaçon me semble désormais un
moindre mal.

En l’espace de quatre ans, les lobbyistes du droit d’auteur ont donc, par leurs
actions diverses, réussi à me convertir au point de faire de moi un pirate
ordinaire. Enfin presque : quoique me livrant régulièrement à la contrefaçon, je
garde encore quelques scrupules à ce sujet, mais au train où ces entreprises
défendent leur cause, je pense qu’elles viendront rapidement à bout de mes
dernières réticences.

Sociétés de gestion, majors, je vous souhaite que mon cas soit isolé, mais je
n’en crois rien. Dans les milieux que je fréquente, j’ai pu constater la
dégradation continue de votre image de marque auprès de vos propres clients, qui
confine parfois à la haine. Pendant tout ce temps, vous avez pu remarquer qu’un
parti pirate est né en Suède, puis a essaimé dans le monde entier et remporte
par endroits ses premiers succès électoraux. Alors qu’à sa création, je raillais
son nom de « pirate », j’envisage aujourd’hui sérieusement de m’inscrire à ce
parti. Pensiez-vous vraiment que la voie de la contrainte et de la peur
était un bon choix pour conserver vos clients ?

Georges Nevers
Texte placé sous licence CC0 (trad. non officielle sur le Framablog)

Notes

[1] Crédit photo : Kevin Dooley (Creative Commons By)

Article proposé par framablog sous licence Creative Commons By-Sa

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