National Portrait Gallery vs Wikipédia ou la prise en étau et en otage de la Culture ?

 

National Portrait Gallery vs Wikipédia ou la prise en étau et en otage de la Culture ?

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Cliff1066 - CC byTous ceux qui ont eu un jour à jouer les touristes à Londres ont pu remarquer l’extrême qualité et la totale… gratuité des grands musées nationaux. Rien de tel pour présenter son patrimoine et diffuser la culture au plus grand nombre. Notons qu’à chaque fois vous êtes accueilli à l’entrée par de grandes urnes qui vous invitent à faire un don, signifiant par là-même qu’ils ne sont plus gratuits si jamais vous décidez d’y mettre votre contribution.

Parmi ces musées on trouve le National Portrait Gallery qui « abrite les portraits d’importants personnages historiques britanniques, sélectionnés non en fonction de leurs auteurs mais de la notoriété de la personne représentée. La collection comprend des peintures, mais aussi des photographies, des caricatures, des dessins et des sculptures. » (source Wikipédia).

Or la prestigieuse galerie vient tout récemment de s’illustrer en tentant de s’opposer à la mise en ligne sur Wikipédia de plus de trois mille reproductions photographiques d’œuvres de son catalogue tombées dans le domaine public. Le National Portrait Gallery (ou NPG) estime en effet que ces clichés haute-résolution lui appartiennent et ont été téléchargés sans autorisation sur Wikimedia Commons, la médiathèque des projets Wikimédia dont fait partie la fameuse encyclopédie. Et la vénérable institution va même jusqu’à menacer d’une action en justice !

Il est donc question, une fois de plus, de propriété intellectuelle mais aussi et surtout en filigrane de gros sous. Personne ne conteste que le National Portrait Gallery ait engagé des dépenses pour numériser son fond et qu’elle ait besoin d’argent pour fonctionner. Mais n’est-il pas pour le moins choquant de voir un telle institution culturelle, largement financée par l’État, refuser ainsi un accès public à son contenu, sachant qu’elle et Wikipédia ne sont pas loin de poursuivre au final les même nobles objectifs ?

C’est ce que nous rappelle l’un des administrateurs de Wikipédia dans un billet, traduit ci-dessous par nos soins, issu du blog de la Wikimedia Foundation. Billet qui se termine ainsi : « Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général. »

Remarque : L’illustration[1] choisie pour cet article représente le moment, en janvier dernier, où le célèbre portrait d’Obama réalisé par l’artiste Shepard Fairey entre au National Portrait Gallery, non pas de Londres mais de Washington. Ce portrait a lui aussi fait l’objet d’une forte polémique puisqu’il s’est directement inspiré d’une image d’un photographe travaillant pour l’Association Press qui a elle aussi tenté de faire valoir ses droits (pour en savoir plus… Wikipédia bien sûr). Décidément on ne s’en sort pas ! Heureusement que le portrait s’appelle « Hope »…

Protection du domaine public et partage de notre héritage culturel

Protecting the public domain and sharing our cultural heritage

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Erik Moeller – 16 juillet 2009 – Wikimedia Blog
(Traduction Framalang : Claude le Paih)

La semaine dernière, le National Portrait Gallery de Londres, Royaume Uni, a envoyé une lettre menaçante à un bénévole de Wikimédia concernant la mise en ligne de peintures du domaine public vers le dépôt de Wikimédia : Wikimédia Commons.

Le fait qu’une institution financée publiquement envoie une lettre de menace à un bénévole travaillant à l’amélioration d’une encyclopédie sans but lucratif, peut vous paraitre étrange. Après tout, la National Portrait Gallery fut fondée en 1856, avec l’intention déclarée d’utiliser des portraits « afin de promouvoir l’appréciation et la compréhension des hommes et femmes ayant fait, ou faisant, l’histoire et la culture britannique » (source) Il parait évident qu’un organisme public et une communauté de volontaires promouvant l’accès libre à l’éducation et la culture devraient être alliés plutôt qu’adversaires.

Cela parait particulièrement étrange dans le contexte des nombreux partenariats réussis entre la communauté Wikimédia et d’autres galeries, bibliothèques, archives et musées. Par exemple, deux archives allemandes, la Bundesarchiv et la Deutsche Fotothek, ont offert ensemble 350 000 images protégées par copyright sous une licence libre à Wikimédia Commons, le dépôt multimédia de la Fondation Wikimédia.

Ces donations photographiques furent le résultat heureux de négociations intelligentes entre Mathias Schindler, un bénévole de Wikimédia, et les représentants des archives. (Information sur la donation de la Bundearchiv ; Information sur la donation de la Fotothek).

Tout le monde est alors gagnant. Wikimédia aida les archives en travaillant à identifier les erreurs dans les descriptions des images offertes et en associant les sujets des photographies aux standards des métadatas. Wikipédia a contribué à faire mieux connaître ces archives. De même, les quelques trois cent millions de visiteurs mensuels de Wikipédia se sont vus offrir un accès libre à d’extraordinaires photographies de valeur historique, qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.

Autres exemples :

  • Au cours des derniers mois, des bénévoles de Wikimédia ont travaillé avec des institutions culturelles des États-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas afin de prendre des milliers de photographies de peintures et d’objets pour Wikimédia Commons. Ce projet est appelé « Wikipédia aime les arts ». Une nouvelle fois, tout le monde y gagne : les musées et galeries s’assurent une meilleure exposition de leur catalogue, Wikipédia améliore son service, et les gens du monde entier peuvent voir des trésors culturels auxquels ils n’auraient pas eu accès sinon. (voir la page anglaise de Wikipédia du projet et le portail néerlandais du projet).
  • Des bénévoles de Wikimédia travaillent individuellement, avec des musées et des archives, à la restauration numérique de vieilles images en enlevant des marques telles que taches ou rayures. Ce travail est minutieux et difficile mais le résultat est formidable : l’œuvre retrouve son éclat originel et une valeur informative pleinement restaurée. Le public peut de nouveau l’apprécier (le travail de restauration est coordonné grâce à la page « Potential restorations » et plusieurs exemples de restaurations peuvent être trouvés parmi les images de qualité de Wikimédia).
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Trois bénévoles de Wikimédia ont résumé ces possibilités dans une lettre ouverte : Travailler avec, et non pas contre, les institutions culturelles. Les 6 et 7 Août, Wikimédia Australie organise une manifestation afin d’explorer les différents modèles de partenariats avec les galeries, bibliothèques, archives et musées (GLAM : Galleries, Libraries, Archives and Museums).

Pourquoi des bénévoles donnent-ils de leur temps à la photographie d’art, à la négociation de partenariat avec des institutions culturelles, à ce travail minutieux de restauration ? Parce que les volontaires de Wikipédia veulent rendre l’information (y compris des images d’importance informative et historique) librement disponible au monde entier. Les institutions culturelles ne devraient pas condamner les bénévoles de Wikimédia : elles devraient joindre leurs forces et participer à cette une mission.

Nous pensons qu’il existe pour Wikipédia de nombreuses et merveilleuses possibilités de collaborations avec les institutions culturelles afin d’éduquer, informer, éclairer et partager notre héritage culturel. Si vous souhaitez vous impliquer dans la discussion, nous vous invitons à rejoindre la liste de diffusion de Wikimédia Commons : la liste est lue par de nombreux bénévoles de Wikimédia, quelques volontaires liés aux comités de Wikimédias ainsi que des membres de la Fondation. Sinon, s’il existe un comité dans votre pays, vous pourriez vous mettre en contact directement avec eux. Vous pouvez également contacter directement la Wikimedia Foundation. N’hésitez pas à m’envoyer vos premières réflexions à erik(at)wikimedia(dot)org, je vous connecterai d’une manière appropriée.

La NPG (National Portrait Galery) est furieuse qu’un volontaire de Wikimédia ait mis en ligne sur Wikimédia Commons des photographies de peintures du domaine public lui appartenant. Au départ, la NPG a envoyé des lettres menaçantes à la Wikimedia Foundation, nous demandant de « détruire toutes les images » (contrairement aux déclarations publiques, ces lettres n’évoquaient pas un possible compromis. La NPG confond peut être sa correspondance et un échange de lettre en 2006 avec un bénévole de Wikimédia, (que l’utilisateur publie ici). La position de la NPG semble être que l’utilisateur a violé les lois sur le droit d’auteur en publiant ces images.

La NPG et Wikimédia s’accordent toutes deux sur le fait que les peintures représentées sur ces images sont dans le domaine public : beaucoup de ces portraits sont vieux de plusieurs centaines d’années, tous hors du droit d’auteur. Quoiqu’il en soit, la NPG prétend détenir un droit sur la reproduction de ces images (tout en contrôlant l’accès aux objets physiques). Autrement dit, la NPG pense que la reproduction fidèle d’une peinture appartenant au domaine public, sans ajout particulier, lui donne un nouveau droit complet sur la copie numérique, créant l’opportunité d’une valorisation monétaire de cette copie numérique pour plusieurs décennies. Pour ainsi dire, La NPG s’assure dans les faits le contrôle total de ces peintures du domaine public.

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La Wikimedia Foundation n’a aucune raison de croire que l’utilisateur en question ait transgressé une loi applicable, et nous étudions les manières de l’aider au cas ou la NPG persisterait dans ses injonctions. Nous sommes ouvert à un compromis au sujet de ces images précises, mais il est peu probable que notre position sur le statut légal de ces images change. Notre position est partagée par des experts juridiques et par de nombreux membres de la communauté des galeries, bibliothèques, archives et musées. En 2003, Peter Hirtle, cinquante-huitième président de la Society of American Archivists (NdT : Société des Archivistes Américains), écrivit :

« La conclusion que nous devons en tirer est inéluctable. Les tentatives de monopolisation de notre patrimoine et d’exploitation commerciale de nos biens physiques appartenant au domaine public ne devraient pas réussir. De tels essais se moquent de l’équilibre des droits d’auteur entre les intérêts du créateur et du public. » (source)

Dans la communauté GLAM internationale, certains ont choisi l’approche opposée, et sont même allés plus loin en proposant que les institutions GLAM utilisent le marquage numérique et autres technologies de DRM (Digital Restrictions Management) afin de protéger leurs supposés droits sur des objets du domaine public et ainsi renforcer ces droits d’une manière agressive.

La Wikimedia Foundation comprend les contraintes budgétaires des institutions culturelles ayant pour but de préserver et maintenir leurs services au public. Mais si ces contraintes aboutissent à cadenasser et limiter sévèrement l’accès à leur contenu au lieu d’en favoriser la mise à disposition au plus grand nombre, cela nous amène à contester la mission de ces institutions éducatives. Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général.

Erik Moeller
Deputy Director, Wikimedia Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Cliff1066 (Creative Commons By)

Article proposé par framablog sous licence Creative Commons By-Sa

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